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Les citajours de Syldia
13 mai 2009

Repas manqué

Ces quelques jours de vacances étaient l’occasion d’aller leur rendre visite. Eux n’avaient plus vraiment la possibilité de se déplacer. Le trajet en voiture était devenu trop long. Le train ? Il y avait déjà longtemps que leur petite gare ne voyait plus s’arrêter que quelques rares omnibus.

Pour notre venue, il s’était mis aux fourneaux, comme il avait toujours aimé le faire. Moi, ça me faisait un peu peur quand je le voyais cuisiner. Traîner la patte entre l’évier et la gazinière, avec ses yeux qui ne voyaient presque plus rien, c’était risqué. Mais on ne pouvait rien dire : il s’énervait dès qu’on lui faisait remarquer sa vision défaillante ou sa marche difficile.

- J’y vois très bien, qu’est-ce que vous racontez ! D’ailleurs l’ophtalmo a dit que l’opération, c’était quand je voulais et si je voulais.

Tu parles, il avait surtout vu que tu avais une peur bleue des toubibs, et que tu étais rentré à reculons dans son cabinet ! Pas naïf, mais pas courageux non plus, il avait compris que tu préférais continuer avec tes 2/10° de vision actuelle plutôt que de passer sur le billard.

Nous étions tous dans la salle à manger quand nous entendîmes un grand fracas suivi d’un « Et merde ! » tonitruant.
Je me précipitai dans la cuisine pour te trouver debout devant le four, le poulet nageant à tes pieds, dans la graisse brûlante, au milieu d’une multitude d’éclats de verre. Il y en avait de partout, et toi, tu restais planté là, râlant.
Ce que j’ai vu ensuite, c’est ton polo blanc recouvert d’huile bouillante, et dessous, ta peau rougie. Puis ta main, toute rouge elle aussi, et tes pieds….
Difficile de te faire asseoir au milieu de tout ça. Et puis, comme toujours cette peur incontrôlable des toubibs …

- Mais non, je n’ai pas mal. Ca ne me brûle pas. C’est rien, je vous dis !

Ben voyons, de la graisse brûlante, tout le monde savait que c’était bon pour la peau. Il suffisait de regarder la cloque qui se formait sur ton ventre.
Pendant que ma mère t’emmenait vers la chambre pour te couvrir de serviettes trempées dans de l’eau froide, j’attaquai le poulet qui n’avait plus de véilléités de fuite, si ce n’est en me glissant des mains. Ramasser la graisse chaude sur le sol, mêlée d’éclats de verre comme des aiguilles ne fut pas une partie de plaisir. Quatre lavages furent nécessaires pour rendre le sol propre à la circulation.
Pendant ce temps, je t’entendais râler à chaque évocation du corps médical, repoussant violemment toute tentative de coup de fil au médecin de garde.

Plus tard, quand tu refis ton apparition dans la cuisine, tout penaud de ta maladresse, j’osai, sur la pointe des mots, te faire remarquer que celle-ci pouvait sans peine être corrigée. Puis je m’enfuis lâchement vers la salle à manger avec le plat de pâtes, sans tenter une attaque plus directe pour ne pas gâcher le séjour.

Pendant le repas, tu te vantas de ton don qui « conjurait les brûlures » pour couper court à toute discussion. Et moi, je pensai que, finalement, si tu avais été brûlé juste un tout petit peu plus gravement, cela aurait été peut-être la solution pour que tu n’échappes pas à tous tes rendez-vous manqués avec votre médecin traitant.

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Commentaires
M
Je suis très touchée par la sensibilité qui émane de ton site, le choix des citations, ce texte...<br /> Je comprends bien cet amour pour nos parents âgés qui perdent leurs moyens progressivement et nécessitent beaucoup de patience.<br /> Maman vient de me quitter après des mois de difficultés de plus en plus importantes et pourtant toujours ce désir d'être le plus autonome possible. <br /> Après son départ, seul l'amour reste dans nos coeurs. Bon courage à toi.
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P
oué oué oué. Ca me dit quelque chose à moi aussi.
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L
Oui Pralinette à raison, je sens aussi bien ta propre souffrance de ne rien pouvoir faire...
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P
Je vois qu'il n'y a pas que chez mes parents que la situation est difficile à vivre, douloureuse... on ne peut rien changer, il n'y a, hélas, qu'un gros coup dur qui pourra...
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