Cheminement
Ce sentier, je ne l'avais pas emprunté depuis tant
d'années. On n'avait rien prémédité; nos pas ont suivi le chemin vers les
châtaigniers tout naturellement. J'ai retrouvé le sentier pavé qui monte en
serpentant au milieu des arbres aux troncs majestueux.
Les parfums d'enfance nous ont enveloppées. Ce mélange de buis, de genêts
grillés et de châtaigniers que je n'ai jamais retrouvé ailleurs. J'ai ressenti,
comme à chaque fois, le besoin irrépressible de fermer les yeux pour
m'imprégner de ces senteurs enivrantes.
Au-dessus des arbres, nous avons retrouvé le grand
pré pentu aux herbes folles. Un clairière juste bonne à abriter des chèvres,
tant son terrain est à flanc de montagne. Le pluie qui enturbannait les sommets
environnants nous a rattrapées. Nous n'avons même pas eu l'idée de redescendre
sous le couvert de la châtaigneraie. Ce n'était plus nos pas qui nous guidaient
mais nos souvenirs. Je suivais la petite fille que j'étais, celle qui grimpait
sac au dos, pour aller planter la tente dans le hameau accroché tout là-haut.
Je suis devenue boulimique d'images, d'odeurs et de
sensations. Le numérique rivé à l'oeil, j'appuyais sur le déclencheur sans
retenue. L'instant d'après, assise sur un rocher, je devenais respiration,
gonflant à bloc les poumons pour emmagasiner les douces senteurs exacerbées par
la pluie.
Besoin d'engranger des réserves par tous les canaux de ma mémoire, de faire
provision de forces positives pour affronter l'année à venir. Il flottait un
parfum de fin de vacances, de fin d'été. On n'a échangé que peu de mots, juste
des émotions communes.
D'un coup, le ciel s'est déchiré pour laisser fuser
les rayons du soleil. Un arc-en-ciel a auréolé la montagne. Le temps s'est
arrêté. Plus rien n'avait d'importance que le moment présent.
Je ne sais à quel moment nous avons repris le chemin du retour. Nous ne sommes
pas allées jusqu'au hameau niché au milieu des fougères rougeoyantes. Nos pas
ont suivi le bruit de la source sortant de terre un peu en contrebas, une eau
claire et chantante qui a donné son nom au lieu : "Hauteyzac", les hautes eaux en
patois.
La lumière a joué sur les sommets alentour. J'ai
tenté de fixer ce jeu coloré.
Nous étions encore dans la châtaigneraie lorsque nous avons perçu dans le
lointain les cris joyeux de nos enfants et le tintement des boules de pétanque,
comme un rappel à la vie.
Syl